Il n’y a plus de certitudes. Il n’y a que des vérités
multiples, des petites vérités de surface. Le monde
a eu raison des profondeurs de la raison. Ainsi dans ce pluralisme
forcé cohabitent l’abstrait, le figuratif, le minimalisme,
l’art conceptuel, les installations, les vidéos et
la photographie.
Si de cette polysémie une profusion d’expressions
s’opposent ou s’approprient le devant de la scène
artistique, apprécions qu’au-delà des mystifications
inhérentes à toute époque, il nous soit permis
de contempler dans le même espace de contemporanéité,
des artistes aussi différents que Jeff Koons, Ernesto Neto,
John Currin ou Mikhaïl Turovsky.
Certains insistaient après la mort de De Kooning sur la
fin de l’acte de peindre. Avec Turovky il n’y a ni
déclin, ni disparition de la peinture. Elle reste de toutes
les catégories esthétiques celle qui permet de juger
et magnifier la dialectique d’une œuvre dans le temps.
La peinture ne doit pas être défendue ni excusée.
Elle est la permanence qui requiert savoir et talent. Celle qui
suspend le temps. Celui de méditer, de penser, d’entreprendre
et de finaliser.
C’est pour cela qu’il est réductio ad absurdum
de parler de retour de la peinture alors qu’elle est la
mesure étalon.
Mikhaïl Turovsky élève la fantasmagorie humaine
à l’identité d’un art majeur. Toute
ses œuvres renferment en elles les ferments du vécu
et les torsions et les vicissitudes d’évènements
qui servent de révélateurs à celui qui perçoit.
Il ne s’agit pas ici d’une posture, mais de la mise
en perspective d’une conviction qui habite ce peintre qui
a fuit les honneurs du social réalisme pendant la guerre
froide pour renaître libre aux USA.
Sa peinture est authentique sous le fragile de la chair, alors
que parfois dans le nihilisme ambiant où se réalise
la création, la permissivité crée une sensation
de vide et d’hystérie. Il n’a jamais perdu
de vue que les chefs d’œuvre ne naissent pas de juxtapositions
d’effets plus ou moins superficiels ou hasardeux mais sont
le fruit d’une vision, sans compromission avec les impératifs
du marché.
Si au premier regard généalogique, il apparaît
que Mikhaïl Turovky s’est penché sur la condition
humaine en s’imprégnant des peintres de la Renaissance,
puis de Matisse, Soutine et Picasso, on réalise en approfondissant
sa peinture qu’elle véhicule ses propres règles
et sa propre mythologie. Chaque question ouvre sur une profusion
de transfert qui lie le pathétique à la vulnérabilité
de l’être. Il n’a pas d’autre réponse
que l’écho de celui qui la reçoit.
Les paysages de chair sont des lieux de passage pour la plénitude
de l’âme. Turovsky utilise la tradition académique
pour développer une sémantique du réel qui
pulse la sublimation. Du chaos et de la déliquescence du
sens actuel, la forme en ce qu’elle est chez lui essentielle,
c’est-à-dire essence et permanence insoumises à
la séduction du beau, exorcise le non-être.
Dans ses tableaux, ses fresques ou ses dessins, sa narration est
irréductible du vivant.
Rien de cruel ou de sordide dans cette éloquence, juste
la nécessité de transmettre avec la rigueur et la
lucidité de quelqu’un qui domine l’acte de
peindre, les affres et les antagonismes d’un monde qui s’éloigne
de ses pôles et de l’élévation.
Si certains parlent d’expressionnisme pour situer l’œuvre,
il conviendrait plutôt pour parler de son style de dire:
figurabstraction. En effet il n’y a de sujétion de
l’abstrait ou de la forme humaine. Ainsi la vitalité
du geste rencontre sur le même versant la plénitude
de la forme et la fraîcheur pulsionnelle.
Si parfois l’antipathie est aussi nécessaire que
la sympathie, c’est que dans le domaine du sensible, la
séduction du plus grand nombre signifie le recours aux
compromis qui nuisent à l’édification d’une
œuvre. Au cours de ses recherches de nouveaux paradigmes,
il a construit l’histoire de sa peinture en traitant de
toutes les formes de l’être et de l’étant,
les êtres pensants et les choses, peignant des sujets usuels
comme des bouteilles, des cuillers, des chaises, en les sortant
de leur condition d’objets pour leur conférer le
statut d’œuvre d’art.
Ainsi de l’imaginaire au réel, du tout au presque
rien, du centre au détail allusif, tout est d’importance
égale, tout concourre à l’avènement
auratique.
Il peint toujours dans son atelier New Yorkais de Riverside Drive.
Contrairement aux périodes passées, où la
matière était richement travaillée et ourlée
de rythmes chromatiques emprunts de sensualité, Mikhaïl
Turovsky centre aujourd’hui sa réflexion sur l’intrigue
du trait et des coulures et laisse la peinture se distraire du
formel pour mieux nous rafraîchir. Ses acryliques et techniques
mixtes sur bois ou support goudronné permettent plus de
fluidité gestuelle et de mieux s’adapter à
l’immédiateté de l’exécution.
La singularité de cet esprit libre qui tend à l’universel
dans l’art et dans la vie, c’est qu’il déboulonne
les icônes sanctifiées qui cachent une idéologie
chauvine ou mercantile qui légitiment les xénophobies
et autres dérives cauchemardesques.
Il est sollicité pour des rétrospectives, la dernière
importante était au Musée National d’Ukraine.
La prochaine qui succèdera à l’exposition
du Chelsea Art Museum à New York aura lieu du 1er au 30
décembre 2005, en France, dans une chapelle appartenant
à la municipalité d’Arles.
Un critique avait écrit après avoir visité
une exposition de Mikhaïl Turovsky au Palais Rihour de Lille:
" On ne sort pas indemne d’une rencontre avec Turovky
".
Il vous appartient de faire cette rencontre et de visualiser la
force qui irradie de cette puissante création.
Serge
Lenczner